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  • Julie Mattiussi

Hybridation et Covid-19 : l’interaction en équilibre sur un fil… de discussion

Hybridation : le maître mot de la rentrée universitaire est lâché. Et alors qu’habituellement il est synonyme de progrès et de pédagogies innovantes, il apparaît en ce moment lourd, comme une contrainte qui s’impose trop fort, trop vite, mais de façon inéluctable.




Ce billet est proposé par Julie Mattiussi, maîtresse de conférences à l'Université de Haute-Alsace. Il est issu de ses réflexions et discussions avec les participants de la journée virtuel ELAN qui s’est tenue le 24 septembre 2020 à l’Université de Haute-Alsace

Avant la Covid-19, l’hybridation passait, pour moi, par une introduction ponctuelle mais régulière de questionnaires à choix multiples interactifs en amphithéâtre. Elle était un moyen de donner du relief au cours en présentiel en amphithéâtre, contexte où la participation orale des étudiants est limitée du fait de la taille de la salle et du volume de la promotion.

Généralisation de l’hybridation

Désormais, mon cours est hybridé au sens strict du terme, puisqu’il présente simultanément deux visages : le présentiel pour 50 à 75% de la promotion, le distanciel pour les autres (l’administration se chargeant de déterminer un roulement parmi les étudiants pour qu’au fil des semaine, tous soient tantôt dans l’amphithéâtre, tantôt derrière l’ordinateur). Le cours en présentiel est bien sûr conditionné par le port du masque sanitaire pour les étudiants comme pour les enseignants.

Un tel contexte me semblait initialement de nature à limiter encore davantage l’interaction en amphithéâtre. Pourtant, l’interaction aide les enseignants à être au plus près des attentes des étudiants en identifiant ce qui pour eux subsiste comme des zones d’ombre. Elle encourage les étudiants à être actifs intellectuellement et fait ainsi figure de clé pour la concentration. Plus accessoirement, elle rend chaque cours unique pour les enseignants et, grâce à l’interaction, je ne m’ennuie jamais pour ma part.

Interaction masquée, fluidité entravée

De fait, l’interaction en cours hybride est particulièrement freinée. D’abord, les bouches masquées rendent difficile la communication « non-verbale » permettant de savoir, en regardant l’expression des apprenants, s’ils ont une difficulté, s’ils ont trouvé la blague amusante… Le masque semble en outre procurer à certains étudiants et étudiantes une impression d’être « cachés » et leur font peut-être craindre de devoir parler d’une voix très forte et assurée pour être entendus. Il va de soi que le masque sanitaire est, dans la période que nous traversons, une précaution indispensable qui doit conditionner le présentiel dans les Universités. Mais la façon dont le masque perturbe la pédagogie mérite d’être prise en compte pour réfléchir aux modalités de l’hybridation des cours.

Ensuite, le système de groupes alternant présentiel et distanciel rend difficile pour les enseignants le « repérage » des étudiants dans l’amphithéâtre. Apprendre à connaître la promotion est pourtant nécessaire dans certaines formations sélectives comme le DUT Carrière Juridique, formation au sein de laquelle j’enseigne, car le rapport de proximité entre étudiants et enseignants est bien souvent un élément que les candidats recherchent en s’inscrivant.

Enfin, le fait de devoir enseigner à deux publics (celui de la visioconférence et celui de l’amphithéâtre) entraîne une fluidité moindre dans le propos des enseignants. Les rares questions de l’amphithéâtre ne sont pas entendues par le public de la visioconférence, il faut penser à les répéter avant d’y répondre. Dans le même ordre d’idée, il y a un risque de ne pas voir les questions de la visioconférence, qui sont posés sur un tchat sur lequel les enseignants n’ont pas toujours l’œil dès lors qu’ils doivent aussi s’adresser aux étudiants de l’amphithéâtre.

L’interaction orale est donc clairement limitée, ce qui dans une formation comme le droit est pénalisant pour les étudiants, le droit étant une matière débouchant sur de nombreuses formations nécessitant de savoir s’exprimer clairement oralement auprès d’un public plus ou moins large. Cet inconvénient majeur de l’hybridation actuelle ne doit pas être nié.

Transformation de l’interaction : une nouvelle place pour l’écrit ?

Cependant, si l’interaction orale est amoindrie, l’expérience des premiers cours m’a montré que l’interaction « tout court », elle, n’a pas complètement disparue. Elle s’est même développée à l’écrit.

Ainsi, les étudiants interagissent beaucoup sur le tchat de la visioconférence. Ils y sont particulièrement actifs, plus encore que lors des visioconférences imposées à l’intégralité de la promotion à l’époque du confinement et de la continuité pédagogique de mars 2020. La raison de cette activité est peut-être que, les étudiants de la visioconférence me voyant debout, de profil, m’adresser à l’amphithéâtre, ils ont tendance à s’approprier le tchat, un peu comme si je ne les voyais pas. Plus exactement, un peu comme si je les voyais juste assez pour maintenir une discussion et des échanges entre eux sur le cours et sur rien d’autre, mais pas de façon pressante. Ils se sentent ainsi autorisés à répondre aux questions les uns des autres, à se corriger mutuellement, ce qui est intéressant à constater (mais pas toujours évident à gérer quand il faut suivre d’un côté le tchat et poursuivre de façon vivante le cours pour les étudiants présents dans la salle).

Plus encore, j’ai réalisé assez rapidement, au regard du nombre de participants sur la visioconférence, que la plupart des étudiants de l’amphithéâtre se connectent à la visioconférence pour me poser des questions et interagir avec les autres. Le phénomène est intéressant : on peut le voir comme une « facilité : l’étudiant ne « prend pas la peine » de s’exprimer oralement, mais on peut aussi le voir comme une opportunité pour ceux qui n’oseraient pas poser leur question de le faire. Ce constat m’a rappelé une idée que j’avais eu il y a quelques années, d’avoir un tchat en parallèle de mon cours magistral. J’y avais renoncé en me disant qu’il était important que les étudiants apprennent à prendre la parole oralement et dépassent leur timidité à cet égard. L’argument demeure pertinent, mais voyant à quel point l’écrit libère, paradoxalement, leur parole, je ne me verrais pas interdire aux présents de poser leurs questions sur le tchat. A fortiori avec les masques !

Cela me conduit à deux interrogations : premièrement, quel est le sens du présentiel, et en particulier du présentiel « masqué », pour eux ? Pour ce qui me concerne, le présentiel est un élément indispensable de mon épanouissement professionnel. Mais qu’en est-il pour les étudiants et étudiantes ?

Secondement, n’y a-t-il pas quelque chose à tirer de ces écrits sur le tchat ? Bien sûr, ils permettent l’interaction. Mais ne sont-ils pas, en plus, formateurs, comme l’est la prise de parole orale ? L’écrit-orale, celui des tchats, des réseaux sociaux, des mails et, même, du présent billet, n’est-il pas une modalité d’expression professionnelle d’avenir à laquelle le tchat les forme d’une certaine façon ? (Merci à Madame Dominique Meyer-Bolzinger de m’avoir soumis cet élément de réflexion).

L’interaction avec l’hybridation est donc bien présente, mais sous une forme nouvelle, qui fait la part belle à un « écrit de style oral ». Elle tient en équilibre sur un fil : le fil de discussion de ma salle virtuelle.

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