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Inspiration photolangage ou l'utilisation de l'image pour construire une introduction au droit

La méthode du photolangage constitue une source d'inspiration non négligeable pour l'enseignement du droit. Je la trouve particulièrement vivifiante pour renouveler les cours introductifs. En utilisant l'image, on contribue à trouver les mots justes, à définir les concepts et à impliquer l'ensemble des personnes participantes dès les premières minutes d'un enseignement. Cet outil pédagogique mérite une petite place dans vos cours tant son potentiel est grand et sa mise en oeuvre aisée.


Photographie d'une installation des images lors d'un cours d'introduction au droit à l'Université de Cergy-Pontoise




Objectifs

 

Pourquoi utiliser l'image quand les mots sont si nombreux ? Pourquoi réduire en un cliché la diversité et la richesse du droit ?


Qu'on se rassure. Voilà précisément ce que je ne cherche pas à faire en utilisant cette méthode du photolangage : ici, l'image ne sert pas à réduire mais plutôt à ouvrir.


En découvrant la méthode du photolangage lors d'un déjeuner familial - merci au psychologue à l'origine de ce partage qui se reconnaîtra - j'ai été traversée par une évidence : il me fallait mobiliser cette méthode, en l'ajustant, afin de renouveler mes introductions. Les séances d'introduction ou le cours d'introduction au droit privé occupent une place importante dans mes enseignements. Étudiante, au fil des années universitaires, j'appréhendais ce temps de l'introduction qui était marqué par une grande passivité des apprenants et apprenantes mais surtout qui me paraissait extrêmement répétitif : analyse des sources du droit, propos généraux sur la matière qui manquaient parfois de contexte et qui la rendait très hermétique au lieu d'ouvrir les horizons...


Quand je me suis retrouver dans la position d'enseigner ces temps introductifs nécessaires, j'ai essayé de trouver une variété d'approches pour rendre la communauté apprenante plus active, et ce, dès les premières minutes de notre première rencontre. En ce sens, le photolangage est une véritable invitation à la co-construction. L'image joue le rôle d'un mot clef mais pas seulement. Elle constitue aussi un élément déclencheur de l'échange et permet d'engager une réflexion très active et participative sur la matière juridique.

Cette méthode permet d'impliquer la communauté apprenante en l'autorisant à assumer une part de subjectivité. Ainsi, il sera possible de montrer que le droit, présenté comme objectif, est également marqué par les subjectivités qui le traversent, tant dans son élaboration que dans son application.


Cet exercice peut également être très intéressant pour des enseignements non juridiques et notamment lorsqu'il est question de travailler sur des positionnements, des postures professionnelles, des savoirs-être. Il permet de parler de soi à travers une image, le filtre proposé contribuant alors à la libération de la parole.


Revenons sur la mise en oeuvre de cet outil pédagogique, qui reste, grâce à ses nombreuses qualités, mon favori.



Mise en oeuvre

 

Exemples de contextes d'utilisation du photolangage


J'ai mobilisé cet outil pédagogique à de nombreuses reprises et dans des cadres très différents. Pour quelques exemples :

  • Cours d'introduction au droit, Licence 3 communication Cergy-Pontoise (environ 20 personnes en présence et à distance pendant le Covid)

  • Cours Master I Mise droit des contrats Cergy-Pontoise (environ 60 personnes en présence)

  • Journées portes ouvertes présentation de formation, Issy les Moulineaux, Faculté de droit (environ 50 personnes en présence)

  • Clinique du droit introduction au projet (4 groupes de 20 personnes environ)

  • Cours d'art oratoire (activité avec des décrocheurs scolaires ou en Master 2 Faculté de droit Issy les Moulineaux environ 20 personnes).

  • Dans un séminaire de travail avec des collègues portant sur la pédagogie en droit à l'Université de Sherbrooke au Canada.

Durée


La mise en oeuvre de cette expérience, telle que je la pratique, est assez simple et peu chronophage. Avec une bonne organisation et un faible nombre de personnes participantes, il est possible de mobiliser cette activité sur une durée de 15 minutes. Mais pour une introduction plus étoffée et un public plus nombreux, je trouve que prévoir 1h est un bon format.


Inspiration et application concrète


Je me suis inspirée de la méthode du photolangage selon la construction proposée notamment par Claire Bélisle.

J'ai acheté un de ses ouvrages, portant sur la thématique travail et relations humaines. Cet ouvrage explique la méthode, son application pour cette thématique et contient un jeu de photographies du format de celles que vous pouvez observer sur l'image ci-contre ainsi qu'en illustration de l'article. Ce jeu de photographies portent sur des représentations variées et pertinentes pour la matière juridique. Par ailleurs, le format de l'image est assez grand, donc plus agréable pour l'observation et le partage lors d'un enseignement.


Je ne reviendrais pas en détail sur la méthode du photolangage dans ces lignes. Si vous souhaitez l'approfondir avant de l'expérimenter dans vos enseignements, je vous invite à parcourir les travaux de Claire Bélisle (voire notamment en ligne l'article suivant écrit par l'autrice) .


Pour ma part, j'ai conservé quelques éléments, issus de cette méthode, qui me paraissaient vraiment précieux dans le cadre d'un enseignement en droit et j'applique le protocole suivant lors de mes cours :


  • J'explique la méthode au public et l'objectif de la mobilisation de l'outil pédagogique, soit parvenir à construire ensemble l'introduction de notre cours (puisque j'utilise généralement le photolangage dans un contexte introductif).


  • J'énonce une problématique claire et simple constituant le point de départ du travail. Par exemple : quel est pour vous l'image qui représente le mieux le droit ? Ou, autre exemple : quel est pour vous l'image qui représente le mieux la relation contractuelle ? J'indique qu'il ne s'agit pas d'un choix qui doit être dicté par la réflexion ou les connaissances mais plutôt le résultat d'une certaine spontanéité, comme guidé par des émotions. La formulation de la question oriente d'ailleurs la communauté apprenante vers cette dynamique subjective.


  • Je demande aux personnes de choisir une image parmi celles que j'ai positionné sur des tables dans la salle. L'image doit être laissée à sa place, plusieurs personnes pouvant être amenées à la choisir. Les images du dossier de Claire Bélisle sont numérotées ce qui est très pertinent. Si vous constituez votre propre dossier, n'hésitez pas à numéroter les photographies.


  • J'indique aux personnes participantes que l'observation et le choix de la photographie doit absolument se faire en silence, afin de ne pas se laisser influencer. À ce stade, l'exercice est véritablement individuel. Je précise qu'il n'est par ailleurs pas possible de choisir plusieurs images ( si je ne l'énonce pas, la question est systématiquement posée par au moins une personne ).


  • Une fois le choix opéré, je distribue la parole librement, en indiquant qu'il est préférable que tous les participants et participantes s'expriment (j'adapte ce critère selon le nombre de personnes présentes). Lorsqu'une image est choisie et commentée, j'interroge l'assemblée pour savoir si une ou plusieurs autres personnes ont choisi la même image. Cela permet de mettre en perspective les regards, les subjectivités mais aussi d'avoir des approches complémentaires (rarement diamétralement opposées).


  • J'indique également la photographie que j'ai moi-même choisi. Je ne le fais jamais au début de la discussion ni à la fin mais plutôt au milieu ou dans la continuité du choix d'une personne apprenante. En ce sens, je respecte les préconisations de Claire Bélisle, qui recommande cette posture pour éviter d'instaurer une hiérarchie, une forme de vérité. Je ne pense jamais à l'avance à mon choix et je me laisse toujours porter par mon ressenti de l'instant. Je tente de me mettre dans la même posture que les personnes qui vivent l'expérience pour la première fois.


  • À l'issu de l'échange, et parfois d'ailleurs tout au long de celui-ci, je prends en note des mots clefs, des idées, que je regroupe sur le tableau blanc. À la fin de la discussion, les éléments forts de l'introduction émergent généralement par écrit. Je synthétise également la discussion à l'oral et il est vrai que cela demande beaucoup de concentration et un effort de mémorisation pour l'enseignant. Je dois parfois compléter certains points que je souhaitais aborder mais qui n'ont pas été dégagés. Cela est toutefois très rare tant généralement l'ensemble des critères déterminants sont souvent découverts grâce à l'appui de la photographie. Je suis toujours fascinée par ce caractère assez complet de l'échange provoqué par l'image : alors que je ne l'oriente pas véritablement - hormis peut-être en choisissant certains clichés - et que je suis souvent en face de personnes qui n'ont jamais fait du droit ou jamais travaillé sur la matière introduite, la méthode permet généralement de faire émerger l'essentiel.


Variante : demander aux personnes participantes de proposer leur image

A distance, si l'on ne peut pas aligner des photographies sur une table, il est tout de même possible de proposer une sélection d'images qui s'affiche à l'écran. Mais on peut aussi, à distance, comme en présence, choisir d'inverser la posture et laisser le choix aux personnes apprenantes de proposer une image.


J'ai ainsi tenté l'expérience de demander aux personnes participantes de me proposer une image de leur choix qui représenterait pour elles le droit. Evidemment, en tête des propositions figure la fameuse image de la balance, les codes rouges (civil, pénal...), parfois des avocats en robe et bien souvent des marteaux (qui ne correspondent pas à la réalité judiciaire française).


L'avantage de cette inversion de posture dans l'exercice est qu'elle permet de déconstruire des représentations et de proposer de nouveaux mots et de nouvelles images pour reconstruire la réalité du droit. Le partage d'images à distance est facilité car il suffit d'ouvrir le partage d'écran afin que chaque personne affiche l'image retenue.


En présence, il pourrait aussi être envisagé de demander aux participants et participantes d'apporter lors du premier cours une image. Dans cette configuration, la spontanéité est plus limitée et le partage de la méthode se fera en aval du choix et non plus en amont. Je n'ai pas encore testé cette approche mais je suis curieuse de vos retours si vous le faites avant moi !



Les points positifs +

C'est une méthode extrêmement facile à mettre en oeuvre, ce qui constitue un caractère vraiment appréciable pour le corps enseignant. Elle ne demande pas un temps de préparation important. Il est possible de se procurer le jeu de photographies suggéré ci-dessus ou de réaliser vos propres photographies et de les faire développer (c'est une nouvelle étape que j'envisage de franchir prochainement). La méthode peut être utilisée à distance ou en présentiel. Ce que je trouve assez fascinant lorsqu'on utilise cette méthode pour introduire une thématique ou plus généralement se livrer à une introduction au droit, c'est que les discussions à partir des images font toujours émerger les points saillants du droit (caractère contraignant, organisation de l'ordre social, le rôle du législateur et du juge, le caractère préventif et punitif...). Cette méthode permet également de mettre sur un pied d'égalité les personnes apprenantes et la personne enseignante (d'où à mon sens l'importance de choisir aussi une photographie et de commenter son choix). Cette posture d'égalité dès les premiers temps d'un cours permet de donner une dynamique collective. On se retrouve ensemble, sur le même radeau, pour affronter les méduses du droit.


Les points négatifs -


Je m'efforce toujours d'avoir un regard critique sur mes pratiques pédagogiques et leurs limites mais je peine à trouver des points négatifs pour cette expérience. J'indiquerais simplement que dans certains contextes, parce que la méthode peut conduire à parler parfois un peu de soi, elle peut induire un malaise chez certaine personne. Toutefois, il me semble que c'est une situation qui reste marginale car sur l'ensemble des mises en oeuvre, je n'ai rencontré pour l'instant que deux situations de résistance et de personnes qui ont refusé de prendre la parole.


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