En quelques semaines, j'ai dispensé 107 heures de cours en visioconférence. L'énergie et la découverte du début ont laissé place aux moments de solitude pour finalement me faire comprendre qu'il ne fallait pas tenter de reproduire les liens du présentiel mais repenser les liens pour la visioconférence.
Vivre l'expérience de l'enseignement en visioconférence
Voilà c’est fini. J’éteins l’ordinateur, les voix déjà s’effacent. Je reste seule à contempler cette année qui s’achève, un cycle immuable s’enroulant à ma vie et aux leurs, celles de mes étudiants et de mes étudiantes. Cette année, pourtant, tout est un peu différent. Cette année, le dernier cours fut un cours dématérialisé, un cours confiné, à distance d’eux alors que pourtant, dans ces derniers instants, c’est le souvenir d’une bienveillante proximité que je souhaite laisser. Quels souvenir garderont-ils de ce dernier cours ? Nous avons échangé une dernière fois, j’ai répondu à leurs questions, grâce au fil de discussion, les plus timides se réjouissant de prendre la parole du bout des mains, d’être présents par le clavier. Heureuse surprise, ils et elles sont là, connectés, ils suivent le propos, on échange, on réagit, on est un peu ensemble. Enseigner devant un public universitaire c’est privilégier la réflexion et le dialogue. Grâce à la visioconférence, cet esprit ne s’est pas interrompu mais il est différent. Les plus aventuriers allument leur micro, peut-être même assument de mettre la vidéo. Je suis chez eux, ils sont chez moi. Nous ouvrons une fenêtre sur cours : opération « continuité pédagogique ».
Le plus fort constat que m’a imposé cette expérience c’est l’impérieux besoin de liens humains. Fallait-il vraiment les interrompre ces liens pour se convaincre de leur importance ? Dans les réponses au questionnaire adressé à mes étudiants reviennent des formules révélatrices. A la question « Qu’est-ce qui vous a le plus manqué dans un cours dématérialisé ? » ce sont pèles mêles les réponses suivantes qui interpellent : le contact physique avec le prof, le regard du prof, les schémas au tableau, mes camarades d’amour, les pauses pour échanger sur le cours, lever la main, l’ambiance de l’amphithéâtre… Êtes-vous étonnés de voir ainsi que malgré toutes les technologies, malgré toutes les envies de modernité, de renouvellement, d’innovation, aujourd’hui encore les apprenants ont envie de croiser des corps, des rires, des regards, des souffles, bref, de la vie humaine ? Nous pouvons chercher toujours plus à mobiliser les écrans, il est aussi un moment pour le partage connecté d’un corps à l’autre, d’un esprit à l’autre.
Nous sommes des êtres de chairs. Nous avons besoin de présence. Mais cette présence aussi existe de manière numérique. Il faut la cultiver autrement. Et finalement, il faut, comme bien souvent dans la vie, tirer profit du contraste et de l'alternance pour rompre avec la monotonie et la lassitude, véritables ennemis de l'enseignant et de l'apprenant.
Ce que j'ai aimé
Il est possible, en visioconférence, de favoriser le travail collaboratif en scindant son groupe. En procédant ainsi on libère la parole et favorise un échange entre les étudiants qui sont séparés. Cela permet également de cultiver des temps d'échanges privilégiés entre l'enseignant et les étudiants. Mais pour que cela soit efficace, il faut alors donner des directives très claires, des objectifs précis et ne pas hésiter à mobiliser des outils parallèles pour faire du travail collaboratif (drive, écran blanc...).
La visioconférence nous oblige plus encore que le présentiel à penser la rupture dans le cours et à s'imposer un cadre très clair. La structure annoncée permet ainsi aux étudiants de se raccrocher aux développements. Plusieurs outils, très faciles à utiliser, permettent de poser des questions aux étudiants pour s'assurer qu'ils suivent. On peut par exemple très simplement leur poser des questions et leur demander de répondre dans le fil de discussion en indiquant que vous l'enregistrerez afin d'évaluer la participation. Vous pouvez également faire des sondages en ligne et des QCM qui se génèrent très simplement grâce à la plateforme elle-même ou des applications extérieures. J'ai trouvé également intéressant de ponctuer ces enseignements de lectures ou de visionner des vidéos afin de rompre avec la monotonie d'un énoncé unilatéral. Bien entendu, un support de cours écrit est un bon complément, en particulier pour ceux et celles qui ont des difficultés de connexion. En l'annotant en direct, vous pouvez récréer dans une certaine mesure les échanges qui se tissent grâce au tableau blanc dans une salle de cours.
Ce que je n'ai pas aimé
Les difficultés de connexion sont assurément le point noir de cette expérience. Il ne faut absolument pas les sous-estimer. Elles rendent le travail très difficile pour les étudiants et pour les enseignants qui veulent trouver des solutions en temps réel.
J'ai trouvé que la visioconférence demandait une énergie décuplée, surtout dans un premier temps lorsqu'on ne maîtrise pas parfaitement les outils. Il faut penser aux outils numériques, à son cours, vérifier que les étudiants n'ont pas de problème de connexion... Je pense qu'il faut vraiment mettre en place des "rituels" pour penser à tout, surtout si on n'est pas à l'aise en informatique.
Bien sûr les regards, les visages manquent rapidement à l'enseignant. J'ai vraiment ressenti une grande lassitude et une perte de sens à certains moments. J'avais le sentiment que ce je faisais ne servait à rien, que les étudiants n'arrivaient pas à me suivre car j'avais du mal à percevoir les réactions. Il faut je crois accepter de repenser les liens autrement. Peut être que vous ne retiendrez pas les visages (car il ne faut pas se leurrer, très peu de personnes allument en permanence leur caméra, pour diverses raisons et notamment la mauvaise qualité de la connexion) mais vous vous souviendrez des voix, des échanges écrits, des échanges lors d'un groupe de travail. Les messages d'encouragements et de remerciements que j'ai reçus me laisse penser que finalement des choses passent, autrement, mais le sens est là.
Et les étudiants et étudiantes, comment ont-ils vécu l'expérience ?
Les résultats suivants sont issus d'une étude menée sur un panel de 150 d'étudiants volontaires de la Licence 1 au Master 2 de deux établissements différents dans lesquels j'enseigne.
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